ÉDUQUER A L’USAGE DES MOTS
POUR CULTIVER L'HUMANITÉ ET CONSTRUIRE LA CULTURE
MANIFESTE POUR UNE ÉDUCATION LINGUISTIQUE DÉMOCRATIQUE
Le Movimento di cooperazione educativa ( MCE) avec ce Manifeste s'adresse au monde de l'école - enseignants, élèves, inspecteurs, parents - au monde de la culture et de la recherche, à ceux qui ont la responsabilité de préparer des conditions favorables à la croissance culturelle dans les territoires et à l'école –administrateurs, politiciens, professionnels ...-, à tous les citoyens.
En particulier nous nous adressons à ceux qui regardent avec inquiétude l'usage violent et discriminatoire de la langue et les propositions hâtives qui invitent à résoudre de façon simpliste avec un enseignement transmissif le problème de la pauvreté linguistique généralisée.
1. ÉDUQUER A LA PAROLE
Eduquer à la parole pour cultiver l'humanité et construire la coexistence civile
Nous pensons qu'éduquer à la parole dans nos sociétés multiculturelles signifie se prendre soin de l'avenir: avoir la vision d'une société future, plus solidaire et plus juste, que nous voulons construire. Nous tournons notre regard vers un horizon de paix, un chemin de conscience des différentes histoires plurielles enrichi par les voix et les langues qui peuplent la planète.
Puisque nous croyons à la langue comme instrument de construction culturelle et à la possibilité de résister à une utilisation de l'enseignement des langues comme instrument de division, nous proposons une éducation à la parole qui est la prémisse nécessaire pour soutenir les idéaux de coexistence civile, les attitudes de respect, de solidarité, d’hospitalité envers tout le monde.
Nous croyons que le mot, qui permet de partager l'expérience, de voir et de montrer l'invisible qui accompagne l'expérience, les pensées et les émotions, la souffrance et la joie, a une place centrale dans notre vie et devrait occuper une place centrale à l'école.
Nous pensons que l'éducation à la parole doit être promue aujourd'hui, face à la complexité du présent, sans nier les conflits qui la caractérisent en les prenant en charge, mais sans renoncer à cultiver l'humanité et la capacité de partager du sens. La démocratie suppose l’utilisation consciente de la parole, dans un esprit de dialogue égalitaire.
Eduquer à la parole pour cultiver la pensée critique
Puisqu'il existe un lien inséparable entre le langage et la pensée - le mot soutient la pensée, la pensée ne peut compter que sur le mot pour exister et être communicable - nous pensons que la conquête consciente et généralisée des mots et des langues, de toutes les langues par tous et toutes, est un instrument d'émancipation et constitue une défense contre les usages manipulateurs et falsifiants de la communication.
Puisque le langage contribue à communiquer la réalité sociale mais aussi à la construire, nous pensons que l'éducation à la parole, en n’utilisant pas des mots liés à des généralisations superficielles, à des catégorisations indues et ethnocentriques est cruciale pour combattre la simplification avec laquelle on réduit souvent la complexité.
Nous croyons qu'éduquer à la parole signifie apprendre à nommer des sujets, des situations, des événements en référence à des catégories linguistiques et conceptuelles construites sur la base de l'expérience et de la réflexion, en mettant en évidence les critères qui sous-tendent les choix linguistiques et les attitudes profondes à la base: peur, empathie ou rejet, proximité ou distance mentale et relationnelle.
Nous pensons qu'éduquer à la parole peut aider à clarifier les utilisations superficielles et tendancieuses du langage, les expressions ‘normales’ qui se répandent: considérer des ‘criminels’ des catégories entières de personnes quel que soit leur travail, prétendre qu'il y a quelqu'un qui a plus que les autres le privilège de la jouissance des droits fondamentaux, voire du droit à la survie, de penser qu'il y a droit au rejet de ceux qui cherchent le salut à la mer, ...
Il s'agit de dénoncer l'usage trompeur des mots, de débanaliser l'évidence en changeant point de vue: ce n'est pas un hasard si des réflexions fondamentales sur l'’aliénation’ ont été proposées par la narratologie, donc par des études sur la langue.
Pour cette raison, nous pensons qu'une école qui éduque la pensée doit être une école qui prend soin de la parole, de son utilisation consciente et responsable et de la nécessité d'enquêter continuellement sur les significations. Il s'agit de construire des attitudes exemptes de stéréotypes et de préjugés et de volonté de confronter différentes lectures possibles de la réalité, d'élargir la perception. En ce sens, l'éducation à la pensée critique, par la parole, devient une pratique de la démocratie.
Placer l'enseignement des langues au centre de l'école
Nous proposons que l'éducation aux langues soit placée au centre de l'école en ce moment où les contextes sociaux et éducatifs se caractérisent par la présence de cultures, de langues et de modes de communication différents: éduquer à la parole, c'est éduquer à l'art de vivre ensemble.
Sur la base des recherches de De Saussure, nous considérons la langue comme un système complexe composé de langues verbales et non verbales. La pratique didactique du MCE, à partir de cette réflexion, prend en charge cet aspect multiforme du langage, les interrelations et l'entrelacement entre les différents langages communicatifs / expressifs, la musique, l'art, l'image, le théâtre ... Nous pensons que choisir cette perspective favorise l'inclusion de touts/tes, enrichit et renforce la proposition éducative, pour donner plus d'opportunités à chacun.
Étant donné que la langue est transversale à tous les domaines, nous proposons que l'éducation à la parole soit la tậche de tous les enseignants, de toutes les disciplines, dans le cadre d’une pédagogie de la coopération et de la recherche.
Nous proposons que tout le temps nécessaire soit consacré à cet apprentissage: le moment pour le dialogue, pour la lecture comme plaisir et comme construction de la connaissance, le moment pour discuter de la signification des mots et pour comprendre, pour élaborer des récits et des réflexions, pour profiter de la beauté des expressions artistiques faites de mots, pour explorer scientifiquement le territoire complexe et fascinant des codes linguistiques, sans céder à l'impulsion de simplifier et de réduire l'apprentissage à la formation mécanique et à la connaissance d'un modèle linguistique unique considéré comme immuable.
Nous proposons que le droit à la lenteur soit respecté, comme condition pour permettre à l'esprit de remplir sa fonction linguistique d'interprétation (et de transformation) du monde. Le temps de la pensée, ainsi que le temps de marcher, le temps de la croissance et le temps du souffle sont des temps qui ont toujours marqué la vie de l'être humain, ils ne peuvent pas être accélérés à notre plaisir. Comprendre les mots et trouver des mots justes et efficaces sont des opérations qui nécessitent la patience et l'humilité d'essayer - de comparer - d'essayer à nouveau, soutenues par le désir de combiner beauté et efficacité.
Nous proposons que aux enfants et aux adultes accueillis sur le chemin difficile de l'éducation aux mots soit garanti le droit d'utiliser et d'apprendre la langue dans un chemin de recherche libre de la peur du jugement, de la sanction, de l'évaluation négative.
Sur la base de la longue expérience et de la recherche des enseignants, des éducateurs et des linguistes, nous rejetons l'affirmation selon laquelle l'objectif d'inclusion et du développement maximal possible des capacités de chacun et l'objectif de la qualité de la proposition éducative et didactique. sont inconciliables.
Nous pensons que le chemin vers ces grands objectifs peut être entrepris dans les écoles et les lieux qui traitent de l'enseignement des langues, en prenant soin des petites étapes quotidiennes: c'est-à-dire, en construisant, avec les propositions éducatives de chaque jour, des contextes scolaires coopératifs et en utilisant des outils de travail appropriés.
2. QUELLE ÉCOLE POUR ÉDUQUER A LA PAROLE
Une école de l’écoute et du dialogue
Une classe où vivent la coopération et la démocratie ne peut pas être une classe dans laquelle s'applique la règle du silence, dans laquelle les raisons de ses différences et celles des autres sont ignorées, dans lesquelles les différentes voies de pensée ne sont pas comparées. Nous considérons donc qu'il est fondamental de reconnaître et de garantir à chacun le droit de parler et, réciproquement, le droit - le devoir d'écouter. Le dialogue et la comparaison permettent une connaissance mutuelle qui génère la confiance et sont la base de la construction de la connaissance.
Nous considérons la communication orale un aspect fondamental de l'enseignement des langues: non seulement une condition préalable indispensable pour acquérir des compétences en langue écrite, mais aussi une compétence fondamentale en soi, à prendre en compte dans tous les ordres scolaires. Raconter, argumenter, exposer ses pensées, discuter, parler en public, parler à l'assemblée, partager des expériences et des émotions sont essentiels dans l'école coopérative car ils sont fondamentaux dans la vie sociale.
Dans chaque voie de la connaissance, la discussion soutient l'articulation de la pensée, stimule les processus mentaux, nous permet d'interroger la réalité en découvrant différents aspects et en construisant des réseaux de significations qui structurent la connaissance, configurant le besoin de poser des questions ainsi que de chercher des réponses.
Nous pensons également que la formation au dialogue et une argumentation rigoureuse sont essentielles pour la capacité à évaluer et à choisir, conditions préalables à la participation démocratique.
Une école de la narration
La narration est une activité relationnelle, la communauté est constituée d'histoires qu'elle partage. Ce sont des histoires qui donnent de l'espace à une pluralité de voix, d'idées, de manières d'être et de vivre qui, nous tous, nous caractérisent en tant qu'êtres humains. La narration permet de composer la nature fragmentaire des expériences dans une unité lisible sans perdre leur richesse.
Être capable de raconter sous toutes les formes possibles, responsabilise les sujets, les rend protagonistes et en même temps les rapproche des autres. Ecouter des histoires crée des relations et ouvre à d'autres mondes et à d'autres expériences.
L'histoire apporte avec elle l'expérience de l'écoute qui habitue à être en relation et à penser en silence.
Chaque récit peut avoir citoyenneté à l'école: les récits de littérature, les mythes, aussi que les récits que chacun peut proposer à l'écoute ou à la lecture. Le récit qui contient la vie quotidienne est fondamental, il aide à la connaissance mutuelle et renforce l'identité du groupe, révélant en quoi chacun est différent et unique et en même temps semblable à tous les autres, en partageant la leur humanité commune.
Une école où la langue est utilisée pour communiquer
La parole et l'écriture sont des moyens puissants qui rassemblent les humains.
Nous croyons en une école où la parole et l'écriture sont utilisées pour communiquer, où la parole a de l'espace et où les écritures sont encouragées et acceptées. Le long voyage vers la capacité d'utiliser des mots de plus en plus efficaces ne peut manquer de prévoir l'erreur, étape inévitable dans tout parcours d'apprentissage, à ne pas souligner, sanctionner, criminalisér, pour ne pas éloigner ainsi de la poursuite du plaisir de communiquer avec les mots.
La pédagogie Freinet et la pratique MCE nous proposent des techniques de vie qui ont aussi un sens symbolique: le texte libre, la correspondance, le journal scolaire, l'écriture collective, la mise à point collective, le livre de vie de la classe. Au-delà des mille façons différentes dont ils peuvent être réalisés et mis à jour, ils indiquent une voie à suivre: donner de l'espace aux mots utilisés pour l'expression et la communication, dans des situations réelles, dans des situations de la vie. Ils nous invitent également à ne pas oublier que les mots, nés parce que négociés par des groupes d'humains pour échanger des idées, ne peuvent
s’apprendre que par l’ échange et la comparaison.
Une école qui accueille les différentes langues et les différentes compétences linguistiques présentes
Nous pensons qu'en ce moment où les contextes sociaux et scolaires se caractérisent par la présence de cultures et de langues différentes, de méthodes de communication différentes, de compétences différentes, éduquer à la parole signifie éduquer à respecter toutes les langues et les différentes compétences présentes dans la classe.
Toute personne qui arrive à l'école, à tout âge, est linguistiquement compétente dans la langue maternelle - la langue qui nous façonne, qui connote notre vie psychologique, nos souvenirs, nos associations, nos schémas mentaux. Le respect et la protection de toutes les variétés linguistiques, qu'il s'agisse d'expressions idiomatiques différentes ou d'utilisations différentes d'un même idiome, signifie qu'aucune langue ne devient un ghetto, une cage qui sépare, un obstacle à l'égalité.
Une responsabilité importante de l'école est également d'accepter la différence de ceux qui ont une compétence linguistique au départ moins adéquate. Nous savons à quel point le manque de compétence linguistique peut affecter de manière significative l'ensemble du parcours scolaire, créant de profonds inconvénients. Nous savons également comment la compétence linguistique est liée, pour tous, aux conditions physiques, à l'environnement familial et social d'origine.
Le résultat doit être l'engagement, d'une part, de faire des choix, dans le domaine méthodologique et didactique, qui aident tout le monde à améliorer les compétences en communication, d'autre part de rejeter à la fois une évaluation sommative basée sur la mesure présumée des résultats standard par des contrôles externes.
Nous croyons cependant à la possibilité de promouvoir le développement des compétences linguistiques pour tous dans un contexte de travail coopératif.
Nous pensons que la promotion de l'expression et des échanges linguistiques peut aider chacun à réussir le chemin de l'éducation à la parole et à atténuer la marginalisation qui génère de la souffrance chez ceux qui ne disposent pas au départ d'outils suffisants. Nous croyons également à l'augmentation des opportunités qui se produit dans une école où il existe une pluralité de langues verbales et non verbales et où une «contamination» entre différentes langues et codes est ressentie. La capacité à comprendre et à communiquer est favorisée, en groupe, par la présence de différentes langues, la prise de conscience des structures de sa propre langue ressort plus facilement de la comparaison qui met en évidence les similitudes et les différences entre les différentes langues et permet de découvrir le potentiel et les contraintes de langage personnel.
Nous croyons en une école qui peut légitimer la diversité et les différences en permettant à chacun de s'exprimer, de communiquer, de s'améliorer en compétence et en prise de conscience en expérimentant en citoyens actifs et capables de produire culture et beauté.
Une école qui considère chaque langue comme un corps vivant et un objet de recherche possible
Nous considérons le langage non pas comme un objet statique, un modèle à connaître, mais comme une réalité complexe et changeante dans laquelle et avec laquelle nous vivons, et qui nous façonne. C'est la maison commune que les êtres humains construisent et adaptent continuellement à leurs besoins. Nous proposons un enseignement des langues qui n'est pas uniquement centré sur l'apprentissage du code et d'un modèle considéré comme immuable, mais ouvert à la recherche.
Nous pensons que la complexité de la langue ne peut être efficacement abordée par un enseignement linéaire (à partir d'éléments isolés - signes, mots, phrases, ..- de façon additive, du plus facile au difficile). Nous pensons qu'il convient de l'explorer afin de mieux comprendre ses multiples aspects - oralité, pragmatique de la communication, sémantique, structures linguistiques des phrases et des textes, liens logiques établis par certains mots ... - en se concentrant sur la compréhension comme construction du sens.
Nous considérons comme inadéquat un enseignement qui met l'accent sur la grammaire comme un enseignement de règles et définitions détachées des textes, soutenu par des exercices mécaniques peu fonctionnels. Tout comme connaître l'anatomie des jambes ne nous rend pas plus rapides dans la course.
Au lieu de cela, nous considérons qu'il est fondamental de travailler sur les textes et les significations, pour stimuler la discussion sur les significations attribuées aux mots et aux expressions.
Une école qui accompagne avec soin le premier apprentissage de la langue écrite
La rencontre avec la langue écrite, une des rencontres fondamentales de la vie, est un moment important dans lequel les enfants entrent dans un nouveau monde communicatif, très différent de celui de l'oralité. Ils rencontrent un nouveau moyen puissant dont ils peuvent apprécier le potentiel: l'écriture permet de laisser un signal durable et de communiquer en dépassant les distances spatiales et temporelles, la lecture peut ouvrir des mondes lointains, incroyables, passionnants grâce à la découverte d'un nouveau pouvoir merveilleux des mots.
Puisque l'activité spontanée de recherche et d'exploration du code commence, pour tout le monde et de différentes manières pour chacun, bien avant l'école, et se poursuit pendant longtemps, nous pensons qu'une méthode naturelle est l'approche la plus correcte: ‘une méthode-non méthode’ qui ne fournit pas un `` enseignement '' pour des étapes successives égales pour tous, mais un accompagnement dans un contexte riche en stimuli qui respecte et favorise les parcours individuels et permet, en même temps, de les tisser et de les faire interagir dans le groupe.
Une école qui fait rencontrer les livres et découvrir la beauté des mots
Notre éducation à la parole manquerait sérieusement si elle n'essayait pas d'offrir des opportunités et de développer des stratégies pour rapprocher les enfants des livres, des connaissances et de la beauté qu'ils contiennent.
À l'école, les livres de connaissances doivent trouver un espace qui ouvre des mondes, offre de nombreux points de vue différents sur la réalité, suscite un nouveau désir de connaître, d'éclairer et de rendre plus significative notre propre expérience personnelle du monde.
A l’école doivent trouver place les livres pour le plaisir de la lecture, pour profiter de la richesse offerte, dans toutes les cultures, par les œuvres de fiction et de poésie, puissants évocateurs d'images, d'expériences, d'émotions, de pensées.
Mettre des livres réels et attrayants entre les mains des enfants, animer cette rencontre fondamentale, c'est la première et fondamentale tâche de l'école.
CE MANIFESTE
Nous espérons que ce Manifeste aidera de nombreux enseignants, qui opèrent déjà ou qui ont l'intention de travailler selon ces critères, de se reconnaître comme faisant partie d'un grand groupe sur la voie d'une école démocratique meilleure et inclusive et d'une société moins injuste.
. Nous savons à quel point la présence ou l'absence d'offres culturelles, d'espaces publics conçus pour la socialité, de bibliothèques, de soutien aux activités des écoles et de tous les lieux d'enseignement des langues est importante.
Enfin, nous ne pouvons manquer de reconnaître à quel point il est important pour les enseignants d'avoir un contexte de travail dans lequel l'enseignant ne se sent pas isolé dans son rôle, dépassé par la nécessité de toujours faire face à de nouveaux problèmes et tâches bureaucratiques.
Nous pensons que dans ce cas, face à des demandes ou des dispositions qui ne respectent pas les droits de l'enfant - le droit à l'expression, à être consulté, à ne pas faire l'objet de discriminations, à participer, - il est légitime de répondre par des actions de désobéissance civile.
MOVIMENTO DI COOPERAZIONE EDUCATIVA
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