L’approche par compétences et le constructivisme
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jeudi 1er octobre 2009 par Nico Hirtt
Piaget, Vygotski, Freinet... tous coupables ?
jeudi 1er octobre 2009par Nico Hirtt
L’approche par compétences se présente parfois à nous comme héritière de la tradition pédagogique constructiviste qui, depuis les travaux théoriques de Piaget et Vygotski et par les apports de praticiens comme Célestin Freinet, a alimenté toute la réflexion et l’action pédagogique progressiste, particulièrement dans les années 1950 à 1970. Et en effet, on retrouve dans les écrits théoriques sur l’APC, de nombreuses expressions qui semblent tout droit sorties des travaux des pédagogues constructivistes : la volonté de « mettre les élèves au travail » sur des « chantiers de problèmes », afin de « donner du sens aux savoirs et aux apprentissages », l’importance accordée à « l’activité de l’élève » comme moteur de la « construction de savoirs », ...pardon ! de compétences. Or, à y regarder de plus près, cette filiation est totalement infondée. A vrai dire, l’approche par compétences se situe à l’exact opposé des pédagogies constructivistes ou socio-constructivistes.
Avant toute chose, il faut s’entendre sur le sens des mots. Outre son acceptation particulière en histoire de l’art, le terme « constructivisme » recouvre au moins deux théories extrêmement différentes, selon que l’on se situe dans le champ de la psychologie et de la pédagogie d’une part, de la philosophie, de l’épistémologie et parfois de la sociologie d’autre part.
Les deux sens du mot « constructivisme »
En pédagogie, le constructivisme désigne un ensemble de conceptions issues notamment des travaux du psychologue suisse Piaget (1896-1980) et, davantage sans doute, du Russe Vygotski (1896-1934). Pour désigner l’héritage de ce dernier, on parle parfois de « socio-constructivisme », parce qu’il mettait davantage l’accent sur l’importance des relations sociales de l’enfant (avec son environnement, ses condisciples, ses professeurs) que sur le développement autonome de son intelligence. Pour l’essentiel, le constructivisme pédagogique affirme simplement, sur base d’observations scientifiques, que les concepts s’acquièrent plus facilement et plus efficacement lorsque durant l’apprentissage l’élève passe par un processus de (re)construction des savoirs, c’est-à-dire, techniquement, par sa participation à une démarche hypothético-déductive. La « mise en situation de recherche », l’activité de l’élève sur des « chantiers de problèmes » qui « donnent sens » aux apprentissages, est plus efficace qu’une démarche exclusivement transmissive, d’une part parce qu’elle est source de motivation, d’autre part et surtout parce que le va et vient de questionnements, de tâtonnements, d’erreurs, d’hypothèses qu’elle engendre permet de progresser réellement dans la compréhension. Il s’agit en quelque sorte d’amener l’élève à parcourir à son tour un processus identique ou similaire à celui qui a vu éclore le savoir qu’il étudie. Toute théorie scientifique apparaît en effet historiquement comme réponse à une interrogation, comme produit d’une démarche faite d’hypothèses et de vérifications mais aussi d’erreurs et de conflits. Tous les savoirs sont, historiquement, des « constructions sociales et culturelles », marquées par les idées, les contradictions propres à l’époque qui les a vu naître. En physique, la théorie de Galilée sur la chute des corps a vu le jour, comme chacun sait, au cœur de la lutte pour affranchir la science de la domination idéologique de l’Eglise catholique. La conception de Newton sur la gravitation et les mouvements des planètes a dû s’imposer contre l’idée cartésienne d’un éther tourbillonnant. La théorie du champ électromagnétique de Faraday et Maxwell n’a trouvé sa formulation « définitive » qu’après des cheminements tortueux et conflictuels. Et le développement de la mécanique quantique au XXe siècle n’a été qu’un long combat entre de multiples interprétations divergentes. La pédagogie constructiviste ne dit évidemment pas que chaque élève doit tout redécouvrir. Ni même que la contextualisation des savoirs scolaires doit nécessairement être conforme au cheminement historique. On peut amener les élèves à découvrir et à formuler des éléments des théories de Galilée et de Newton à partir de questionnements qui, aujourd’hui, seront plus efficaces et davantage porteurs de sens que de vouloir les replonger dans le contexte culturel du XVIIe siècle. L’important n’est pas là, mais dans le fait que les savoirs répondent à des questions qui font sens pour l’élève et qu’il ait, par ses tâtonnements, ses hypothèses, ses erreurs, suffisamment participé au processus de construction du savoir pour en comprendre la portée. Cette nécessaire activité de l’élève peut prendre mille formes, depuis le simple jeu de questions-réponses entre la classe et le professeur jusqu’à la « pédagogie du projet », pour autant qu’elle soit efficacement dirigée et encadrée. Le constructivisme pédagogique bien compris se situe en tout cas à des années-lumière de l’espèce de fétichisme méthodologique que certains ont voulu en faire avec leurs immuables « mise en situation de recherche », « recherche documentaire », « production individuelle ou collective »...
Pour sa part, le constructivisme philosophique (qui se qualifie aussi parfois de « constructivisme radical ») n’affirme pas seulement que toutes les connaissances élaborées par l’humanité sont des constructions sociales — ce qui est une évidence historique — il professe en outre que toutes ces théories ne sont « que » des constructions sociales. Ce petit mot fait toute la différence. Il pose ainsi en dogme que les théories élaborés par l’homme ne peuvent jamais et en aucune manière prétendre au statut de « vérité objective », qu’elles n’ont de valeur « que » relativement au contexte social, historique, culturel où elles ont été construites. C’est pourquoi cette conception épistémologique est aussi parfois appelée « relativisme ». Pour le constructiviste radical, pour le relativiste, il n’y a pas de vérité, il n’y a que « des » vérités dont aucune ne peut prétendre être supérieure aux autres. A ses yeux, les conceptions antiques des Egyptiens sur l’origine de l’univers et celles du Big Bang ne sont pas plus ou moins « vraies » l’une que l’autre. Elles se réfèrent seulement à des cadres culturels différents ; elles répondent efficacement, l’une et l’autre, aux exigences de leur époque. L’absurdité d’une telle position est patente dès qu’on la confronte à la pratique scientifique et technologique. Si l’on compare par exemple les conceptions aristotélicienne et newtonienne sur la gravitation, on constate que la seconde permet d’expliquer non seulement tous les phénomènes décrits par la première (le fait qu’une pierre tombe, alors que la fumée chaude s’élève dans les airs par exemple) mais aussi les mouvements de la lune, des planètes, des comètes ainsi que les marées. Dès lors, même si l’on sait aujourd’hui que la théorie de Newton a été supplantée par le relativité générale d’Einstein, même si l’on ne peut exclure que les anomalies des mouvement des galaxies n’ouvrent un jour la porte à une révision plus déchirante de la théorie de la gravitation, il est néanmoins absurde de prétendre qu’il n’y aurait pas de différence entre la « vérité » de la théorie de Newton et celle d’Aristote. Car la première est tout simplement supérieure en tous points, dans la pratique. Comme l’indiquent Jean Bricmont et Alan Sokal, adopter le point de vue du constructivisme philosophique ou du relativisme « équivaut à renoncer à la recherche d’un savoir objectif et, partant, au but même de la science » [Sokal 2005]. En définitive, le constructivisme philosophique n’est qu’une resucée postmoderne du vieil idéalisme subjectif pour lequel il n’existerait aucune réalité en dehors du sujet pensant