Texte de Célestin Freinet extrait de l'Educateur Prolétarien n° 1 de l'année 1933-1934 (octobre 1933)
Il est assez curieux que, au moment même où, sous les criailleries intéressées de toute la meute réactionnaire, le Gouvernement français sévit contre Freinet et s’essaye à entreprendre une action de grande envergure contre l’imprimerie à l'Ecole, notre technique s’implante solidement dans les pays voisins.
Depuis de nombreuses années, nous avons en Espagne des camarades dévoués qui s’intéressent à notre technique. A Tours, en 1927, Manuel Cluet assistait en délégué officiel à notre Congrès de l’imprimerie à l’Ecole ; il retournait il Bordeaux l’an dernier et n'avait cessé pendant ce temps de faire en faveur de notre technique une ardente campagne.
Il y a deux ans, plusieurs instituteurs de la province de Lérida, encourages par un jeune, actif et sympathique Inspecteur, Herminio Almendros, se lancèrent avec enthousiasme dans l’Imprimerie à l’Ecole. Un professeur de l’Ecole Nationale de Barcelone, J. Sanz, ancien élève de l’Institut J.-J. Rousseau, les secondait avec dévouement. C’est grâce à H. Almendros et à J. Sanz que le groupe de Lérida fut, dès sa naissance, en relations suivies avec notre Coopérative. C’est à eux encore que je dois d’être allé parler de notre technique devant les quel-ques centaines d'instituteurs et d’institutrices qui participaient à l’Ecole d’Eté de Barcelone.
Nous ne dirons rien de ces conférences, sinon que notre technique y a soulevé l'enthousiasme des auditeurs et qu’elles ont été l'occasion de jeter définitivement les hases de la Coopérative espagnole d’imprimerie à I Ecole.
Dès le premier jour une réunion de 15 à 20 camarades travaillant à l'imprimerie ou se préparant à acquérir le matériel, permettait de discuter de l'organisation définitive de la Coopérative, de la fabrication du matériel, des conditions d’administration. Le groupe naissant décidait notamment de repousser l’offre d’un éditeur de Barcelone qui désirait lancer sur le marché pédagogique notre matériel d'imprimerie à l’Ecole.
Le lendemain soir, un simple avis à l’issue de ma première conférence, avait amené dans une salle de l’Ecole normale 150 éducateurs qui désiraient se familiariser avec nos réalisations.
Réunion encourageante et émouvante au plus haut point
Tour à tour, trois camarades travaillant à l’imprimerie — nos pionniers espagnols — vinrent, avec leur matériel en mains, raconter comment « l'imprimerie à l'Ecole » avait rénové leurs classes. Eux aussi vinrent dire la joie des enfants qui pouvaient enfin s’exprimer et fixer leurs pensées ; ils dirent l'enthousiasme de tous les collaborateurs de l'œuvre commune à la parution du premier journal, l’intérêt porté par les parents à leurs réalisations : ils montrèrent les beaux clichés réalisés et dont nous pourrions être fiers en France.
L’assistance était conquise parce qu'on sentait qu'il n’y avait là aucun verbiage, que ces expériences, chaque éducateur pouvait les faire à l’avenir dans sa classe puisque la Coopérative espagnole aujourd’hui en fonctionnement, et avec notre appui fraternel, fabrique son propre matériel et organise l’activité commune.
Notre technique est sûre maintenant de prospérer en Espagne parce qu’elle s’appuie sur une organisation qui peut compter sur des camarades enthousiastes et dévoués.
Selon nos conseils, un bulletin officiel de la Coopérative va être publié prochainement pour coordonner et stimuler les efforts des adhérents.
La richesse des documents obtenus à ce jour est telle que nos camarades préparent plusieurs opuscules, genre Enfantines, qui seront publiés en Espagne et dont nous donnerons la traduction. Une Gerbe verra peut-être le jour prochainement.
Si on pense que l’école espagnole, surtout l’école rurale, n'est pas muselée comme la nôtre par des programmes, des horaires et des examens et que les inspecteurs eux-mêmes, qui dépendent directement du pouvoir central, ont un rôle plus strictement pédagogique que nos inspecteurs français, on comprendra que le terrain soit propice à l’introduction et au développement rapide de notre technique.
Et quand je pense à cette soirée émouvante passée au sein du groupe Battek constitué par ces premiers adhérents de l’imprimerie, quand je ressens cette fraternité avec laquelle m'ont accueilli tous ceux que passionne cette rénovation scolaire, je me dis que notre technique peut fort bien, par-dessus les frontières, contribuer à l’effort commun de toutes les bonnes volontés prolétariennes.