Suite à l’annonce de la fermeture de nos écoles à partir du 16 mars, le ministre de l’Éducation Nationale nous a demandé sur la base du volontariat, de mettre en place une classe virtuelle.
La mise en place d’une classe virtuelle pendant la fermeture des écoles a, selon nous, pour conséquences :
• d’accentuer l’inégalité scolaire en fonction de l’origine sociale des élèves : présence ou non d’un ordinateur avec connexion internet à domicile, différents niveaux d’études des parents, professions des parents (professeurs, pédagogues, etc.), conditions liées aux domiciles (plusieurs enfants dans une même chambre, espace dédié aux devoirs ou non…)
• d’accentuer l’inégalité scolaire entre les enfants en situation de handicap ou non. Les AESH accompagnant les enfants en situation de handicap ne seront pas présent.e.s au domicile des enfants.
• d’accentuer l’inégalité scolaire entre les enfants ayant des parents francophones ou non francophones.
• d’accentuer l’inégalité scolaire entre les enfants ayant des parents lecteurs ou non lecteurs.
• Etc.
Par conséquent nous avons refusé et refusons la mise en place non-obligatoire d’une classe virtuelle.
Mettre en place une classe virtuelle, en plus d’accentuer l’inégalité scolaire, s’avère ne pas être un outil efficace pour garder le contact avec toutes les familles de nos élèves. Ce contact doit être régulier et fait par tous les moyens dont nous disposons : téléphone (appels et sms), mails pour les familles qui ont accès au numérique, etc.
Garder le contact avec les familles de nos élèves est primordial, notamment avec celles qui risquent d’être le plus directement touchées par la situation sanitaire :
• les personnes en situation de grande précarité : en situation administrative non régulière, sans domicile, en squats ou bidonvilles, hébergées, etc.
• les personnes en situation de précarité et bientôt de grande précarité : travailleu.se.rs non déclaré.es ou payé.e.s à la tâche qui se retrouveront sans salaire à la fin de ce mois et probablement le mois prochain, etc.
• les personnes subissant, tous milieux sociaux confondus, des violences physiques et/ou psychologiques à leur domicile, qui ne risquent que de s’aggraver dans cette période de confinement : mères ou enfants battu.e.s ou maltraité.e.s.
• les personnes réquisitionnées ou qui doivent continuer de travailler : caissier.res.s, éboueur.e.s, travailleu.se.rs sociaux, soignant.e.s, assistant.e.s à domicile, aidant.es,…
• les femmes qui seront une fois de plus en première ligne : aidantes, assistantes maternelles, aides-soignantes, caissières, mères au foyer, infirmières, etc., qui cumuleront temps de travail ou de garde avec les tâches domestiques qu’elles accomplissent très souvent seules ou bien plus que leurs conjoints.
• les personnes pour qui le confinement est particulièrement angoissant et stressant : les familles habitant dans un logement exigu imposant une grande promiscuité, les personnes restées confinées pendant des guerres, les ancien.nes. détenu.es.s, etc.
• les personnes ayant un membre de leur famille incarcéré. Les visites ne sont plus autorisées et la situation déjà catastrophique en prison avant la crise sanitaire s’est encore très fortement détériorée ces derniers jours.
• Etc.
Pour soutenir ou aider toutes ces personnes nous invitons tou.te.s nos collègues à se servir de leurs réseaux : professionnels, amicaux, affinitaires, de comités de grèves, d’assemblées générales, de collectifs de lutte, syndicats, etc., pour organiser une solidarité locale en fonction des besoins ou des sollicitations.
S’astreindre à du télétravail pédagogique, via une classe virtuelle, des devoirs à la maison ou encore un blog, en plus de participer à accentuer les inégalités scolaires de nos élèves, augmentera l’anxiété des familles qui ne pourront pas répondre aux demandes des enseignant.e.s ou qui ne pourront pas suivre le rythme pour diverses raisons : parents qui travaillent, parents isolés avec plusieurs enfants,...
Pour nous le moment se prête davantage à faire preuve de solidarités sous toutes les formes qui nous seront possibles.
Pour autant, comme le ministre de l’Éducation Nationale s’est senti obligé de nous le rappeler, comme si nous ne l’avions pas compris, la période sans classe que nous vivons n’est pas assimilable à une période de vacances scolaires. Les familles étant confinées, nous pensons qu’il est important de leur proposer des activités du quotidien, des activités s’insérant dans le quotidien et des activités réalisables avec le matériel de la maison, qui constituent de fait des apprentissages concrets et réels pour leur enfants et qui permettront peut-être d’atténuer un tant soit peu l'anxiété suscitée par la situation.
Ces activités peuvent, selon nous, être suggérées sans accentuer l'inégalité scolaire si elles sont transmises à toutes les familles de nos classes par écrit et/ou oralement.
Les activités énumérées dans la liste (non-exhaustive) ci-dessous sont des activités ne nécessitant pas la présence ou l’accompagnement d’un.e professionnel.le de la pédagogie et sont déjà pratiquées en temps normal par les familles les plus favorisées dans l’accompagnement scolaire de leurs enfants. Ces familles-là se féliciteront de « déjà faire » comme l’enseignant.e le recommande. Pour toutes les autres, elles pourront piocher dans ces propositions pour compléter les activités qu’elles pratiquent déjà.
Ainsi, notre démarche professionnelle durant cette période inédite n’accentuera pas les inégalités scolaires, au mieux elle les résorbera légèrement, au pire elle ne changera rien.
Nous pensons, de plus, que nous devons profiter du temps qui nous est imparti, s’il nous en reste, pour mener des réflexions que nous n’avons souvent plus le temps d’avoir au sein de nos écoles. Quel est le sens de notre métier ? Quelle école et donc quelle société voulons-nous pour nos élèves ? Quelle pédagogie voulons-nous réellement appliquer dans nos classes et nos écoles ? Quels moyens avons-nous pour lutter contre la détérioration de l’école publique engagée depuis longtemps et qui s’est accélérée ces dernières années?
Si nous devons nous organiser et assurer la continuité du service public, c’est à nous d'en déterminer les modalités et les priorités.
Article écrit par des enseignant.e.s de Bagnolet, Montreuil, Pantin, Paris 10, Paris 19, Paris 20, puis signé par :
Pénélope Gaillard-Siboni, PE à Paris 20e, ICEM 93
Olivier Thomas, ICEM
Activités (en lien) proposées en français (écrit/audio), algérien, italien, arabe littéraire, roumain, mandarin, anglais et portugais.
et sur https://valise.chapril.org/s/PtLfJfMnW5by45r
Des versions audio sont en cours de préparation