Un texte de Célestin Freinet (Juillet 1951)
Le pédagogue avait minutieusement préparé ses méthodes ; il avait établi scientifiquement, disait-il, l’escalier qui doit permettre d’accéder aux divers étages de la connaissance ; il avait mesuré expérimentalement la hauteur des marches pour l’adapter aux possibilités normales des jambes enfantines ; il avait ménagé çà et là un palier commode pour reprendre le souffle, et la rampe bienveillante soutenait les débutants.
Et il pestait, le pédagogue, non pas contre l’escalier qui était évidemment conçu et construit avec science et méthode, mais contre les enfants qui semblaient insensibles à sa sollicitude.
Il pestait parce que tout se passait normalement quand il était là à surveiller la montée méthodique de l’escalier, marche à marche, en soufflant aux paliers et en tenant la rampe. Mais s’il s’absentait un instant, quel désastre et quel désordre ! Seuls continuaient à monter méthodiquement, marche à marche, en tenant la rampe et en soufflant aux paliers, les individus que l’école avait suffisamment marqués de son autorité, comme ces chiens de berger que la vie a dressés à suivre passivement le maître et qui se sont résignés à ne plus obéir à leur rythme de chiens franchissant sentiers et fourrés.
La bande des enfants reprenait ses instincts et retrouvait ses besoins : l’un montait l’escalier à quatre pattes ingénieuses ; un autre prenait de l’élan et grimpait les marches deux à deux, en brûlant les paliers il en est même qui s’essayaient à monter à reculons, et qui, ma foi, y acquéraient une certaine maîtrise. Mais surtout, incroyable paradoxe, il y avait ceux — et ils étaient ta majorité — pour qui l’escalier était trop dépourvu d’aventures et d’attrait, et qui, contournant la maison, s’agrippant aux gouttières, enjambant les balustrades, parvenaient au sommet en un temps record, bien mieux et plus vite que par l’escalier soi-disant méthodique, et, une fois là-haut, ils descendaient sur la rampe en toboggan... pour recommencer cette ascension passionnante.
Le pédagogue fait la chasse aux individus qui s’obstinent à ne pas monter par les voies qu’il estime normales. S’est-il demandé si, par hasard, sa science de l’escalier ne serait pas une fausse science, et s’il n’y aurait pas d’autres voies plus rapides et plus salutaires procédant par sauts et enjambées ; s'il n'y aurait pas, selon l’image de Victor Hugo, une pédagogie des aigles qui ne montent pas l’escalier ?
Merci
Il y a les fables de la Fontaine pour aider les puissants à méditer et les dits de Mathieu pour aider les enseignants à agir. Merci Claude pour ce repère ...
Virginie